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Le roman, écrit par Laurent Gaudé et publié en 2002 est empreint de mythologie antique. La chose est visible dans les thèmes, l'intrigue et les personnages, mais aussi, plus subtilement, dans l'influence d'Aristote, sensible en filigrane dans ce roman à forte teneur théâtrale. On se laisse (em)porter par une histoire prenante, source de réflexion sur la mort, le pouvoir, la guerre, la violence, thèmes tragiques s'il en est. Pour cette analyse, je me suis principalement focalisée sur les jumeaux Sako et Danga.
Tsongor règne sur son royaume depuis la cité de Massaba depuis des années. Il est devenu un vieil homme, qui attend avec impatience le mariage de sa fille, Samilia, avec le prince des Terres de sel, Kouame. Mais, la veille du mariage, un prince nomade, du nom de Sango Kerim, que le roi Tsongor avait élevé comme un fils, vient demander la main de Samilia, à qui il est lié par un serment fait durant leur enfance. La guerre menace la cité, le roi Tsongor doit trancher. Mais il meurt avant d'avoir pris son choix, laissant cette responsabilité à quatre de ses enfants: Samilia, Liboko, et les jumeaux Sako et Danga. Le plus jeune, Souba, a quant à lui pour mission de quitter la cité pour construire sept tombeaux à l’image de son père dans tout le royaume. Malgré le vœu de paix de Tsongor, la guerre est rapidement déclarée. Les armées s'affrontent pendant des années, sans que l’une ne gagne du terrain sur l’autre. Le but premier de cette guerre était de récupérer Samilia, puis de récupérer la ville de Massaba, mais c'est devenu un violent règlement de comptes et un combat d'ego entre les soldats. Ces derniers ont péri en nombre, et la famille royale, Liboko le premier, n’a pas été épargnée. Le combat se terminera par la mort des derniers survivants, les deux jumeaux royaux, qui s’entre-tuent, tandis que Samilia prend la fuite, et que Souba suit son errance dans le royaume.
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On peut tout d’abord rapprocher la famille Tsongor des familles maudites, telles que les Atrides, les Labdacides où les descendantes d’Hélios.
Ainsi la scène qui suit la mort du roi Tsongor nous montre les cinq enfants du roi qui semblent unis par un lien d’amour puissant, réunis pour un dernier repas en famille, avant le début de la guerre. Cela rappelle la famille des Labdacides, avec les quatres enfants d’Oedipe, Etéocle, Polynice, Antigone et Ismène réunis. Cela mène le lecteur à réfléchir. C’est le roi Tsongor qui a créé cette guerre, avec ses décisions de mariage, pas ses enfants. Peuvent-ils alors être responsables des erreurs de leur père ? De manière générale, les enfants sont-ils responsables des erreurs de leurs parents ?
Un peu après le début de la guerre, les deux jumeaux du roi, Sako et Danga, se voient imposer un dilemme. Il leur faut choisir leur camp. Sako opte pour celui de Kouame, et de se battre pour l'honneur de son père, mais Danga choisit Sango Kerim, leur ami d’enfance. Cette décision vient sceller leur destin tragique, puisqu’elle les place dans des camps opposés, mais ces deux choix mettent en valeur le dilemme : devraient-ils choisir de rester fidèle à leur père, qui est décédé, ou à leur ami d’enfance qui est lui bien vivant ? En d'autres termes, la fidélité aux morts vaut-elle celle aux vivants ?
Peu après la mort de Liboko, la mère de Kouame, la chef des amazones, Mazébu, vient aider son fils. Cependant, elle part lorsqu’elle considère que cette guerre est inutile, vaine et meurtrière. Elle invite son fils, et même Sako, qui pourtant n’est pas de sa famille, à venir avec elle. On peut rapprocher cette scène du chant IV de l'Iliade, où Homère donne à entendre la voix des femmes, autour d'Hector (sa mère, sa femme, Hélène…). Ce personnage de Mazébu, qui est finalement la représentation d’un vrai guerrier, invite à s’interroger sur la place de la femme dans la guerre. Car ici, cette belle figure humaniste et morale vient proposer à Sako la paix, la vie, se constituant ainsi en une véritable figure de l'ethos, tout en jouant sur le pathos pour persuader son fils. Mais elle propose aussi d’enrayer la terrible spirale du tragique qui tourne autour des Tsongor.
Vers la fin de l'œuvre, Kouame et Sango Kerim finissent par se mettre d’accord quant à la mort de Samilia. Cette dernière cherche le soutien des jumeaux, mais en vain. Elle rappelle le personnage de Hélène, dans l’Iliade, qui n’est ni dans le camp des Troyens, ni dans le camp des Grecs. On peut dès lors se demander ce qu’il est advenu des liens familiaux qui les unissaient, elle et ses frères, avec cette scène qui joue sur le pathos.
La guerre se termine avec la mort des derniers soldats, qui ne sont autres que les jumeaux du roi Tsongor. Danga meurt deux heures après Sako, qui était de deux heures son aîné. On peut parler ici d’ironie tragique: ils auront vécus le même laps de temps. On peut faire un parallèle avec les Parques qui tranchent le fil de la vie. Leurs morts n’est pas un hasard. Comme si quelqu'un présidait à leur destinée, dans un déterminisme qui leur échappe.
Ensuite, on peut affirmer que, bien que les Tsongor, en particulier les jumeaux, soient membres d’une famille maudite, et qu’ils ne soient ainsi pas maîtres de la tragédie à laquelle ils prennent part, l’hybris dont ils font preuve n’a pas amélioré leur situation.
Ainsi, lors de la discussion entre les jumeaux au sujet du dilemme, Danga reproche à son aîné le fait de s’accaparer le trône. Sako réplique avec dédain (ethos) que c’est parce qu’il est plus âgé. Il y a un conflit qui naît de la libido dominandi, la volonté d’être supérieur, des jumeaux. Avec cet échange, l'auteur invite le lecteur à se poser une question : à quoi tient la supériorité d’un homme ? On peut aussi y voir une mise en garde contre l’insatisfaction, qui peut avoir de lourdes conséquences.
Quelques instants plus tard, les jumeaux se battent à mains nues, et Danga quitte son frère pour rejoindre le camp de Sango Kerim avec une armée. Avec cela, on peut les rapprocher d'Etéocle et Polynice, les deux garçons d’Oedipe, dans Les sept contres Thèbes d'Eschyle. Le conflit d’hybris entre les personnages les amène à se battre, alors qu’ils sont de forces égales. Peut-on alors considérer que la colère est la clef du pouvoir politique ? Où qu'elle est du moins un remède à l'injustice ?
Les deux frères se séparent donc, et on ne tarde pas à voir les conséquences de cette séparation des membres de la famille : Le troisième frère, Liboko, qui était resté dans le camp de Kouame, et donc de Sako, meurt au combat. Sako est dévasté par le chagrin,et reste enfermé dans une sorte de torpeur mais continu de se battre. On peut alors remarquer qu’il y a certes, un combat extérieur, la guerre, mais aussi un combat intérieur, où l’amour, l’honneur, et la fidélité se disputent avec le désir de vengeance et la tristesse. On retrouve alors une des émotions qui constitue un des leviers de la tragédie, selon Aristote : la pitié, la douleur morale (eleos) . Mais alors, la douleur nourrit-elle l’esprit de vengeance ? C’est en tout cas ce qu’il se passe avec le personnage de Sako.
Lors de leur combat final, Sako meurt, le ventre ouvert par son frère, et avant de mourir, il réussit cependant à trancher un tendon du pied de son frère. Ce dernier jubile, d’être le seul survivant. Il s’imagine déjà régnant sur Massaba, tandis qu’il boitille pour la rejoindre. Mais il meurt d’hémorragie, sans avoir réussi à atteindre la ville. La blessure de Danga fait penser à celle qui à causer la mort d' Achille, dans l’Iliade. Cela rappelle qu’une faiblesse, même minime, peut mener à la perte. Danga a négligé sa blessure, submergé par la joie de pouvoir régner. Il en a payé le prix: il faut être conscient de ses faiblesses pour réussir
Lorsque les jumeaux rejoignent les Enfers, ils passent devant leur père, qui les observe avec mépris. Tsongor les méprise justement à cause de l’hybris dont ils ont fait preuve. Eux qui voulaient faire honneur à leur père, ils ne récoltent que son mépris. On y apprend que bien souvent, lorsque l’on cherche trop à obtenir quelque chose, on obtient le contraire. On peut également remarquer que l'image des Enfers est la même que dans l'Odyssée.
Enfin, en plus de cette hybris, les personnages font preuve d’une violence terrible, qui mène à une catharsis. Lors du siège de Massaba par l’armée de Sango Kerim et de ses alliés, Danga réussit à ouvrir une brèche dans la cité, et provoque un incendie, tout comme la cité de Troie, qui a pris feu lors de son siège. L’auteur met ici en scène un personnage aveuglé par la vengeance, et qui ne se maîtrise pas. Il met donc en place un paradoxe : dans sa colère, Danga détruit la ville pour laquelle il se bat. On peut y voir une mise en garde contre la colère et l’hybris, vecteurs de destruction.
Après que Samilia a pris la fuite, suite à l’accord commun des deux camps pour sa mise à mort, Kouame et Sango Kerim annoncent que le combat qui s’ensuit sera un combat à mort, qui n’offrira ni honneur ni récompense. C‘est un combat de vengeance. Les deux jumeaux en font partie, et nous suivons le combat de ces deux guerriers assoiffés de sang. L’auteur effectue là une catharsis. Il donne en spectacle deux frères totalement déshumanisés, suite à leur accès d'hybris, qui se font face dans un violent agôn. La guerre les a transformés, en a fait des monstres assoiffés de vengeance et de mort, permettant à l'auteur de jouer sur un des leviers qui, selon Aristote, permet d'initier la catharsis: la terreur (phobos). Mais est-ce vraiment une transformation ? L'Homme ne serait-il pas violent par nature ?
De même, lorsque Danga réussit à tuer son frère, le sentiment qu’il éprouve est une joie sans borne. Pourtant, il est roi d’un pays en ruine, dont il est le seul habitant.
L’auteur met donc en scène des personnages appartenant à une famille qu’on pourrait qualifier de maudite. On retrouve dans les fautes et les actions des personnages des leviers de la tragédie antique, concepts d'Aristote, comme l’hybris dont font preuve les jumeaux, la violence qui en découle, et l’effet de catharsis ainsi créé. A travers des scènes captivantes, mises en valeur par leur effet de réalisme (la mimésis d'Aristote), l'auteur suscite chez le lecteur des réflexions personnelles et atemporelles.