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Le roman, écrit par Laurent Gaudé et publié en 2002 est empreint de mythologie antique. La chose est visible dans les thèmes, l'intrigue et les personnages, mais aussi, plus subtilement, dans l'influence de la tragédie grecque, sensible en filigrane dans ce roman à forte teneur théâtrale. On se laisse (em)porter par une histoire prenante, source de réflexion sur la mort, le pouvoir, la guerre, la violence, thèmes tragiques s'il en est.
Synopsis
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Cela fait des années que Tsongor règne sur son royaume depuis la cité de Massaba. Il est devenu un vieil homme, qui attend avec impatience le mariage de sa fille, Samilia, avec le prince des Terres de sel, Kouame. Mais la veille du mariage, un prince nomade du nom de Sango Kerim vient demander la main de Samilia. Elevé par le roi Tsongor comme un fils, il est lié à Samilia par un serment conclu durant leur enfance. La rivalité entre les deux princes fait peser une terrible menace de guerre sur la cité : le roi Tsongor doit trancher. Ne pouvant se résoudre à un conflit qui causerait la destruction de son royaume, ce dernier décide de se donner la mort. Samilia, Liboko, et les jumeaux Sako et Danga, quatre des enfants de Tsongor, se retrouvent donc seuls face au cruel dilemme. Le plus jeune de la fratrie, Souba, a quant à lui pour mission de quitter la cité pour construire sept tombeaux à l’image de son père à travers le royaume. Malgré le vœu de paix de Tsongor, la guerre est rapidement déclarée. Les armées s'affrontent pendant des années, sans que l’une ne gagne du terrain sur l’autre. Cette guerre, initialement vouée à récupérer Samilia et la ville de Massaba, n'est plus qu'un violent règlement de comptes, un combat d'ego entre les soldats. Ces derniers ont péri en nombre et la famille royale, Liboko le premier, n’a pas été épargnée. Le combat se terminera par la mort des derniers survivants, les deux jumeaux royaux, qui s’entre-tuent, tandis que Samilia prend la fuite, et que Souba poursuit son errance dans le royaume.
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Le poids du destin
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La scène qui suit la mort du roi Tsongor nous montre les cinq enfants du roi qui semblent unis par un lien d’amour puissant, réunis pour un dernier repas en famille, avant le début de la guerre. Ils ne sont pas alors sans rappeler la famille des Labdacides, avec les quatre enfants d’Œdipe, Etéocle, Polynice, Antigone et Ismène réunis. Sur la mythique fratrie pèse en effet une malédiction familiale, punition divine du crime d'un de leurs aïeux. De la même manière, les enfants Tsongor doivent assumer les actes de leur père. Car c'est bien le roi seul qui a causé cette guerre, avec ses décisions de mariage, pas ses enfants. Les enfants sont-ils responsables des erreurs de leurs parents ? Quoi qu'il en soit, dans le roman de Gaudé, comme dans la mythologie, ce sont eux qui doivent en payer les conséquences.
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Un peu après le début de la guerre, les deux jumeaux du roi, Sako et Danga, se voient imposer un dilemme. Il leur faut choisir leur camp. Tandis que Sako opte pour celui de Kouame, afin de se battre pour l'honneur de son père, Danga choisit Sango Kerim, leur ami d’enfance. Cette décision vient sceller leur destin tragique, puisqu’elle les place dans des camps opposés. Mais leurs choix relèvent également d'un autre ressort de la tragédie antique : le dilemme. Devraient-ils choisir de rester fidèle à leur père, qui est décédé, ou à leur ami d’enfance qui est, lui, bien vivant ? En d'autres termes, la fidélité aux morts vaut-elle celle aux vivants ?
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Vers la fin de l'œuvre, Kouame et Sango Kerim finissent par se mettre d’accord quant à la mort de Samilia. Cette dernière cherche le soutien des jumeaux, mais en vain. La princesse se retrouve alors telle Hélène dans l’Iliade, qui n’est ni dans le camp des Troyens, ni dans le camp des Grecs. La scène, qui joue sur le pathos, interroge : qu’est-il advenu des liens familiaux qui les unissaient, elle et ses frères ?
La guerre se termine avec la mort des derniers soldats, qui ne sont autres que les jumeaux du roi Tsongor. Danga meurt deux heures après Sako, qui était de deux heures son aîné. Ironie tragique : les deux frères auront vécu exactement le même laps de temps. Facétie des Parques ? Leurs morts n’est pas un hasard. Comme si quelqu'un présidait à leur destinée, dans un déterminisme qui leur échappe.
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Le poison de l'orgueil
Si les Tsongor, en particulier les jumeaux, ne sont pas maîtres de la tragédie à laquelle ils prennent part, l’hybris dont ils font preuve n'améliore pas leur situation. Lors de la discussion entre les jumeaux au sujet du dilemme, Danga accuse son aîné de s’accaparer le trône. Sako argue alors de son âge avec dédain. Un conflit naît donc de la libido dominandi (la volonté de se sentir supérieur) des jumeaux. Cet échange invite le lecteur à s'interroger : à quoi tient la supériorité d’un homme ? On peut aussi y voir une mise en garde contre l’insatisfaction, porteuse de lourdes conséquences. Quelques instants plus tard, les jumeaux se battent à mains nues, et Danga quitte son frère pour rejoindre le camp de Sango Kerim avec une armée. Les deux frères deviennent alors le reflet d'Etéocle et Polynice, les deux garçons d’Œdipe, mis en scène par Eschyle dans Les Sept contres Thèbes. Le conflit entre les personnages, fondé sur l'hybris (l'orgueil excessif) les amène à se battre, alors qu’ils sont de forces égales. Peut-on donc considérer que la colère est la clef du pouvoir politique ? Ou qu'elle est du moins un remède à l'injustice ?
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Les deux frères se séparent donc, et les conséquences de cette séparation ne tardent pas à se manifester : le troisième frère, Liboko, qui était resté dans le camp de Kouame, et donc de Sako, meurt au combat. Sako est dévasté par le chagrin, et reste enfermé dans la torpeur mais continue de se battre. On peut alors remarquer qu’il y a certes, un combat extérieur, la guerre, mais aussi un combat intérieur, où l’amour, l’honneur, et la fidélité se confrontent avec le désir de vengeance et la tristesse. Se cristallise alors une émotion qui constitue l'un des leviers de la tragédie, selon Aristote (ou pas*) : eleos, c'est-à-dire la pitié, la souffrance morale. La douleur nourrit-elle l’esprit de vengeance ? C’est en tout cas ce que semble montrer le personnage de Sako.
Lors de leur combat final, Sako meurt, le ventre ouvert par son frère. Avant de mourir, il réussit cependant à trancher un tendon du pied de son jumeau. Ce dernier jubile d’être le seul survivant. Il s’imagine déjà régnant sur Massaba, tandis qu’il boitille pour la rejoindre. Il mourra pourtant d’hémorragie avant d'avoir réussi à atteindre la ville. La blessure de Danga fait penser à celle qui a causé la mort d'Achille, dans l’Iliade. Cela rappelle qu’une faiblesse, même minime, peut mener à la perte. Danga a négligé sa blessure, submergé par la joie de pouvoir régner. Il en a payé le prix : il faut être conscient de ses faiblesses pour réussir.
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Lorsque les jumeaux rejoignent les Enfers, réplique de l'Hadès homérique, ils passent devant leur père, qui les observe avec mépris. Tsongor les méprise justement à cause de l’hybris dont ils ont fait preuve. Eux qui voulaient faire honneur à leur père ne récoltent que son mépris. On y apprend que bien souvent, lorsque l’on cherche trop à obtenir quelque chose, on finit par obtenir précisément le contraire.
Une violence mortifère
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Outre leur hybris, les personnages font preuve d’une violence terrible, dont le spectacle conduit le lecteur à la catharsis. Lors du siège de Massaba par l’armée de Sango Kerim et de ses alliés, Danga réussit à ouvrir une brèche dans la cité, et provoque un incendie qui n'est pas sans rappeler celui du siège de Troie. L’auteur met ici en scène un personnage aveuglé par la vengeance, et qui ne se maîtrise pas. Il s'agit d'un paradoxe : dans sa colère, Danga détruit la ville pour laquelle il se bat. On peut y voir une mise en garde contre la colère et l’hybris, vecteurs de destruction.
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Après que Samilia a pris la fuite, suite à l’accord commun des deux camps sur sa mise à mort, Kouame et Sango Kerim annoncent que le combat qui s’ensuit sera un combat à mort, qui n’offrira ni honneur ni récompense. Nous assistons à la lutte entre deux jumeaux, topos mythologique. L’auteur amène ainsi le lecteur à effectuer sa catharsis : il donne à voir deux frères, totalement aveuglés voire déshumanisés par leur hybris, qui se font face dans un violent agôn. La guerre les a transformés, en a fait des monstres assoiffés de vengeance et de mort, permettant à l'auteur de jouer sur l'autre levier qui, selon Aristote (ou pas*), permet d'initier la catharsis : la terreur, phobos en grec. Mais s'agit-il vraiment d'une transformation ? L'Homme ne serait-il pas violent par nature ? De même, lorsque Danga réussit à tuer son frère, le sentiment qu’il éprouve est une joie sans borne. Pourtant, il est roi d’un pays en ruine, dont il est le seul habitant...
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Une leçon d'humanité​​
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Violence, orgueil, destruction : y aurait-il une fatalité qui contraindrait les hommes à n'être que de violentes créatures assoiffées de pouvoir, anéantissant tout par ego ? Evidemment non, et ce n'est d'ailleurs absolument pas là la vision de Laurent Gaudé. Certes, il dépeint l'humanité dans ses pans les plus sombres, mais il prend garde à ne pas dresser un tableau monochrome. En effet, certains personnages, porteurs de valeurs morales, viennent introduire des nuances dans la peinture que fait l'auteur du genre humain. C'est le cas de Mazébu. Mère de Kouame et cheffe des Amazones, elle vient peu après la mort de Liboko porter de l'aide à son fils. Mais elle ne tarde pas à réaliser que la guerre qui se joue est inutile, vaine, meurtrière, et ce constat la décide à partir. Elle invite son fils, et même Sako, qui pourtant n’est pas de sa famille, à venir avec elle. Le personnage de Mazébu, véritable incarnation guerrière, invite à s’interroger sur la place de la femme dans la guerre. Car ici, cette belle figure humaniste et morale vient proposer à Sako la paix, la vie, se plaçant ainsi aux antipodes de l'engrenage de violence qui broie Massaba. Son ethos de pacificatrice, ainsi que le recours au pathos pour ouvrir les yeux de son fils, sont les armes qu'emploie la guerrière. Au delà d'une simple promesse de paix, c'est la possibilité d’enrayer la terrible spirale du tragique, qui tourne autour des Tsongor, que porte en elle la reine. Une femme qui offre la paix et propose de mettre fin à un cycle de violence : voilà un portrait qui contraste avec l'orgueil aveugle qui semble régner dans le roman. On ne peut réduire l'humanité à ses pulsions égotiques, ni considérer celles-ci comme une fatalité. Si l'auteur expose ces bas instincts, c'est au contraire pour inviter à les connaître et les comprendre afin d'apprendre à mieux les dompter. C'était d'ailleurs précisément le rôle de la tragédie dans l'Antiquité : exhiber les maux causés par les passions pour permettre au spectateur de purger les siennes. De la même manière, Gaudé n'a pas pour dessein de défendre la vision d'une humanité foncièrement mauvaise, mais bien au contraire de fournir des clefs pour vivre harmonieusement, tant avec soi qu'avec son prochain.
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